Violente approche... [ réservé ]

Aujourd’hui, il pleuvait. Les rues de Londres étaient désertes, et les rares fous qui se trouvaient dehors courraient pour se mettre à l’abri. Le Père contemplait ces pauvres hommes par la fenêtre du hall d’un air absent. Il se moquait pas mal de savoir qu’ils allaient choper la crève, oui ; il réfléchissait plus à la condition des hommes, à leurs avantages par rapport aux vampires et aux lycans, et à leurs désavantages. Cela faisait bien trente minutes qu’il se trouvait ainsi debout, les chasseurs qui passaient et repassaient ici le contemplant avec respect et curiosité. Lorsque pour la cinquième fois la porte principale s’ouvrit, libérant un courant d’air glacial dans la pièce, et un chasseur trempé entra, il ne pu retenir un froncement du sourcil et un claquement de langue agacés, et il se détourna de la fenêtre pour monter à l’étage. Il hésita un instant lorsqu’il fut arrivé en haut de l’escalier : bibliothèque ou salle des trophées ? L’odeur putride qui régnait dans cette dernière l’encouragea à choisir la première solution. D’un pas vif il se dirigea vers la bibliothèque, avec la ferme intention de pouvoir dormir un instant tranquillement – sa chambre ne l’étant jamais, il y avait toujours un imbécile heureux pour venir le voir.

Une fois à l’intérieur de la bibliothèque, il n’hésita pas. Se dirigeant vers un rayon quelconque, il prit un livre au hasard et partit s’pour s’asseoir dans les fauteuils au fond de la salle, près de la fenêtre ; c’était généralement là où il allait dormir tranquillement, lorsqu’il ne voulait pas être dérangé. Peu de gens allaient lire dans ce coin, la fenêtre laissant toujours filtrer un courant d’air froid qui déplaisait à beaucoup. Pourtant, c’était à cause de cela que le chef des tueurs aimait autant ce coin ; il était sûr de n’être pas dérangé, et il n’était pas frileux.
Pourtant lorsqu’il arriva dans son coin favori, une mauvaise surprise l’attendait. Le fauteuil était libre, certes, mais la place était déjà prise. Et il ne voulait pas s’endormir devant quelqu’un, ce qui allait l’obliger à faire semblant de rire. Le coupable aurait pu être épargné, mais il n’allait pas l’être : c’était Ivan qui avait investi l’endroit, et cela allait lui coûter cher. Les sentiments qu’éprouvait Nicholas à son égard étaient confus : il le dégoûtait et à la fois, il l’aimait. Pourtant il détestait ce gamin qui lui avait de nombreuses fois tenu tête, et l’avait torturé de nombreuses manières. Il l’avait violé, lui avait fait comprendre à de maintes reprises combien il était insignifiant et inutile, et pourtant l’enfant restait avec lui. C’était d’ailleurs peut-être pour cela qu’il l’aimait, parce qu’il osait lui résister. Et que le casser était un plaisir constant pour lui.

Il s’assit en face du jeune homme et se mit à lire sans faire attention à lui. Pourtant, au bout de quelques minutes, il leva les yeux et, jetant un coup d’œil au titre de l’œuvre que lisait l’enfant, lui demanda d’un ton distrait, tout en baissant à nouveau les yeux vers son livre :

« Tu as réussi à te lever, ou une bonne âme t’a aidé ? »

Il eut un petit sourire moqueur et mauvais et reprit :

« tu n’as pas froid ? Tu es à la plus mauvaise place de la bibliothèque, à croire que tu le fais exprès… »

Un raclement raisonnait dans la petite bibliothèque. Depuis plusieurs jours, Ivan persévérait à ne plus utiliser son fauteuil roulant. Peut-être était-ce de l'optimisme, peut-être de la folie, les deux étaient envisageables. Pour lui, c'était juste un moyen de se débrouiller seul et gagner un peu plus de dignité, car malgré ses apparences de parasite, Ivan avait une immense fierté, même si celle-ci avait déjà été de très nombreuses fois endommagée. L'adolescent continua d'avancer périlleusement dans les rayonnages. Il cherchait un livre sur les anges déchus. Sur Eric… Son cœur se pinça, l'image du bel ange passa sous ses yeux, ce n'était pourtant pas une vision causée par son don. Un petit sourire passa sur ses lèvres. Il se reprit tout de même très vite. Il ne devait pas avoir ce genre d'égarement ici, un tueur pourrait le voir, et trouver cela suspect. S'il était surpris, le Père saurait ça dans l'heure qui suivrait, et il n'était pas certain de pouvoir taire le nom d'Eric si celui-ci l'interrogeait comme il savait si bien le faire.

Arrivait au milieu d'un rayonnage, il s'arrêta. Il repéra le livre qu'il voulait. Il était assez volumineux, ça n'allait pas être facile de le porter, mais il y arriverait bien, il le fallait. Il lâcha alors une de ses cannes qu'il déposa contre les livres pour pouvoir la reprendre ensuite. Sa main maigre saisit le livre et faillit bien le lâcher sous son poids. Avec de nombreux effort, il réussit à caler le livre sur sa canne et commença à avancer. Le fauteuil le plus proche était non loin de la fenêtre. Enfin le fauteuil et la chaise, car ce que voulait Ivan, c'était une chaise, c'était bien mieux pour ses jambes. Après une marche digne d'un combattant, il put s'asseoir sur la chaise. Il poussa un soupir de soulagement. Ses yeux noirs regardèrent par la fenêtre, il pleuvait dehors… Il ne pourrait pas sortir… De toutes façons, il devait éviter, s'il sortait trop, on se douterait qu'il voyait d'autres personnes que les tueurs. Il était obligé de rester dans cette horrible prison qu'était l'Antre.

Il reporta son attention sur le livre, et commença à le lire assidûment. Il n'apprit pas grand-chose au début, ni même au milieu… Peut-être qu'à la fin… Il voulait tellement en apprendre sur l'homme mystérieux qu'il avait rencontré… Il était tellement absorbé par sa lecture qu'il n'entendit pas le Père arriver. Il ne le vit que quand il s'assit dans le fauteuil face à lui, mais ne lui adressa pas la parole, essayant de continuer de lire. Cependant, les lignes se dérobait sous ses yeux, il n'arrivait pas à se concentrer sur ce qu'il faisait en sachant cet homme près de lui. Il le craignait trop, il se méfiait trop. Et même quand Père lui parla, il se focalisa à regarder encore son livre.

"Je ne pense que vous vous intéressiez vraiment à mon sort, autrement vous auriez été cette bonne âme."répondit-il froidement en gardant la tête baissée sur son livre.

Ses mains s'étaient crispées sur la reliure, au fond de lui rien que la présence du cet homme l'apeurait. Mais il ne se laisserait pas faire ! Il ne devait pas !

"Non, je n'ai pas froid. Néanmoins, il est vrai que depuis que vous êtes ici, c'est le plus mauvais endroit qui puisse existé."

Sa froideur n'avait d'égale que son insolence. C'était sa seule arme. Il ne pouvait rien faire d'autre, il ne pouvait que tenter de repousser cet homme par les mots. Il savait bien que ses bras avaient toujours étaient trop faibles…

Il savait bien combien l’enfant le craignait ; et le constater à nouveau, sans être un plaisir pour lui, fut agréable. Nul n’aurait pu dire ce qu’il trouvait de si plaisant à torturer un infirme ; il n’aurait pu le dire lui-même. La même chose aurait pu se produire avec un garçon en parfaite santé, mais c’était avec Ivan que cela se passait. Sûrement parce que l’enfant avait un don, et qu’il lui tenait tête. Nicholas ne l’aimait pas à proprement parler : seulement il voulait posséder son esprit et son corps, et pour le moment, il ne possédait qu’une seule de ces deux choses. Pourtant il connaissait cet enfant presque mieux que lui-même, et il savait lorsqu’il lui cachait quelque chose : pourtant, cette fois-là, il ne le découvrit pas tout de suite.

En apostrophant l’enfant de cette façon, il ne s’attendait pas à une réponse amicale. Il savait comment il réagirait, et c’était de ça dont il avait besoin. De quelqu’un qui le repousse, pour qu’il ne se sente pas toujours le plus fort. Car même si dans leurs altercations, Nicholas gagnait toujours, c’était pourtant l’enfant qui gagnait la bataille la plus profonde. Et cela agaçait prodigieusement l’adulte, qui ne pouvait plus utiliser que la force pour le soumettre. Il n’avait aucun remord pour les nombreux viols qu’il lui avait fait subir ; cette fierté que Ivan conservait, il voulait la réduire en miettes, et il ne le lâcherait pas jusqu’à ce que ça arrive.

La première réplique d’Ivan amusa le Père ; la seconde, moins. S’il ne répliqua pas à la première, il ne put retenir un claquement de langue agacé, et dû se contrôler pour ne pas sauter sur l’enfant et le gifler. Il fit un effort pour se maîtriser et, posant le livre sur ses genoux, redressa la tête avec hauteur, son visage pâle déformé par un léger rictus de colère. Ivan était le seul à pouvoir voir le Père dans cet état ; malheureusement pour lui.

« Je suis ravi de voir que ma présence te procure toujours autant de plaisir. Ne t’inquiètes pas, c’est réciproque. Mais si la bonne âme que je suis t’a recueillie ici, ce n’est pas pour te lâcher dans la nature par la suite. »

Il se tut et baissa les yeux sur les jambes de l’enfant, ne pouvant retenir un frisson de dégoût en imaginant ce qui se cachait sous le kimono du gamin.

« Le docteur est passé te voir, n’est-ce pas ? Qu’a-t-il dit à propos de tes… jambes ? Tu as quitté ton fauteuil à ce que je vois. Je ne me souviens pas t’y avoir autorisé. »

Cette question était de la pure méchanceté, le Père sachant très bien ce que le médecin avait dit. Se levant, il s’approcha du gamin et, caressant sa joue avec une fausse tendresse, reprit d’un ton doucereux :

« Je n’aimerais pas que mon précieux trésor s’abîme plus qu’il ne l’est déjà… »

Prenant de force les lèvres de l’enfant, il l’embrassa avec haine et violence, avant de mettre fin à ce baiser et retourner s’asseoir dans son fauteuil. Il sembla reprendre la lecture de son livre, qu’une quinte de toux interrompit bien vite. Ses épaules tressautèrent avec violence, et, amenant sa main devant la bouche, il se pencha en avant, maudissant cette maladie qui l’obligeait à montrer sa faiblesse à ce gamin mutilé.

Ivan gardait obstinément la tête rivée sur ces lignes qu'il ne comprenait plus. Elle construisait une muraille entre son esprit et son tuteur. Elles lui permettaient de ne pas croiser son regard, de garder un soupçon de courage, enfin plutôt de témérité. Il bénissait presque ce livre qui avant s'était avéré totalement inutile quant à sa recherche. Mais maintenant, la donne n'était plus la même, ce livre serait toujours pour lui un bon livre.

L'adolescent frémit légèrement en entendant l'agacement du Père. Il avait sans doute été encore une fois trop loin. Mais il préférait cela que s'avouer vaincu ! Il pourrait le battre, l'humilier, tout, il pouvait tout faire, cependant son esprit échapperait toujours à ses mains avides. Ivan s'était juré cela. Les yeux d'Ivan se risquèrent à observer furtivement les réactions de l'homme… Et à la vue du rictus qui déformait les traits du Tueur, il ne se sentit pas vraiment rassuré. Au contraire. Son regard se reporta alors instantanément sur le livre.

*Les Anges déchus sont des êtres qui ont été chassés des cieux après…*

Mais il ne put continuer… Il entendait trop bien les paroles de l'adulte. Et il ne put d'ailleurs plus garder la tête baissée. Il avait trop peur de se faire frapper, s'il voyait le coup venir, il pourrait toujours tenter de se protéger… Illusoires espoirs, il faut bien l'avouer. Il ne répondit rien aux premières paroles. Il ne sut rien trouver d'insolent à répondre… C'était trop vrai pour être contredit. Et c'était peut-être la seule chose pour laquelle il avait été un instant reconnaissant. Alors, il ne pouvait répondre quoi que ce soit.

A la vue des yeux sur ses jambes, l'adolescent remit son kimono en place, il savait ce à quoi pensait l'homme. Il savait que ses jambes étaient d'une abominable laideur, mais elles n'étaient pas pires que l'âme de cet homme. Et n'avaient jamais été plus ensanglantées que ses mains. Il avala sa salive en entendant la question suivante. Il savait que l'homme en faisait exprès, mais même en le sachant, ça faisait mal.

"Le docteur n'a rien ajouté de plus qu'à l'habituel… Et vous le savez très bien."dit-il sèchement. "Oh, je devais vous demander si je pouvais quitter mon fauteuil ? Je l'ai demandé au médecin, c'était la personne la mieux placée pour le savoir."

Il observa l'homme s'approchait de lui. Ses mains se crispèrent tellement sur le livre qu'il sentit de petits creux se formaient dans la reliure de cuir. Il bougea légèrement la tête en sentant les doigts de l'homme sur sa peau, essayant d'éviter ce contact sans attiser plus la colère de l'adulte.

"Ne dites pas des choses que vous ne pensez pas..." murmura-t-il avant de sentir les lèvres lui arracher les siennes.

Il se laissa faire. Il avait l'habitude, il savait endurer. Il resta de marbre face à l'agressivité de l'homme. Il savait qu'il était une des seules personnes à mettre ce grand homme en colère, c'était déjà une grande récompense et une raison de ne pas fléchir. Une fois cette épreuve passée, il fixa de son regard sombre son agresseur. Il espérait son regard telle une lame, il imaginait la lame qui pourrait mettre fin à ses souffrances et aux jours de ce fou. Bientôt le Père fut pris d'une violente toux. C'était devenu courant depuis quelque temps. Et Ivan bénissait chacune d'elle.

"Et vous, que vous a dit le docteur ? "demanda-t-il avec un sourire victorieux aux lèvres.

Il regarda l'homme tousser avec un plaisir malsain.

"Vous savez, vous ne devriez pas rester près de la fenêtre, c'est le plus mauvais endroit de la bibliothèque… On croirait que vous le faites exprès. "continua-t-il du même ton.

Il jouissait de la faiblesse de cet homme. Pour une fois que ce n'était pas l'inverse. Et cette fois, ils étaient à égalité, c'était un combat, d'âme à âme, d'esprit à esprit.

"J'espère pour vous que ce n'est pas la toux mortelle qui frappe le bas peuple en ce moment…"finit-il avant de reposer ses yeux sur son livre.

Relève la tête, relève la tête ! Le cœur sombre de l’homme, son envie insatiable de dominer chaque personne, chaque cœur, faisait qu’il ne supportait pas la fierté de cet enfant, qui le dominait de ce côté-là, et son envie de l’écraser était encore plus forte. Ses jambes mutilées et son corps malingre ne le dégoûtait pas plus que ça, contrairement à ce que pensait Ivan et à ce qu’il laissait voir. Bien que pendant leurs ébats, il évitait de toucher ses jambes, il lui arrivait de les caresser avec une tendresse malsaine, avec une douceur inhabituelle. La proximité qu’il avait avec cet enfant faisait qu’il ne se rendait pas compte de l’acte qu’ignoble qu’il commettait en couchant avec lui, avec ou sans son consentement. Il était son seul soutien dans ce monde. Il en était persuadé, et profitait de cette position de manière abusive. Il était fou, tout simplement. Mais personne ne le savait, car sa relation avec le garçon n’était pas publique, et l’enfant se serait bien gardé de l’avouer. Du moins, c’est ce qu’il pensait.

Ce jeu avec l’enfant commençait déjà à l’ennuyer. Il commença à songer aux moyens de le faire taire, pour qu’il ne puisse lui répondre. Appartiens-moi ! Donne-toi tout entier à moi. C’était tout ce qu’il voulait, que son jouet devienne enfin docile, une peluche. Mais il savait qu’à partir du moment où Ivan le deviendrait, il serait fini.

Des choses qu’il ne pensait pas ? Ivan ne savait pas combien il se trompait. L’enfant était indispensable pour la santé mentale du dirigeant. Du moins pour le moment. Sentir quelqu’un lui résister l’empêchait de sombrer dans la mégalomanie la plus complète. C’était grâce à Ivan que la seule partie du cerveau du Père qui n’était pas atteinte de folie pouvait encore raisonner convenablement. Ces paroles énervèrent le Père, le baiser se fit plus violent qu’il n’aurait dû l’être. Dans sa fougue, le dirigeant se mordit la lèvre. En se rasseyant, il lécha le sang qui s’écoulait de la légère blessure, et fixa à nouveau l’enfant. Avant d’être pris de cette horrible quinte de toux.
Les paroles d’Ivan blessèrent l’homme, mais il s’y attendait. Il savait qu’il ne lui ferait pas de cadeaux, qu’il saisirait chacune de ses faiblesses, et la retournerait contre lui pour en faire une arme. C’était une guerre incessante entre les deux, et qui se terminerait lorsque l’un des deux mourraient, ou qu’ils se lasseraient. Ni trêve, ni paix. La haine était trop ancrée en Nicholas pour qu’il laisse une chance à Ivan de s’en sortir indemne.
Sa toux s’arrêta, et le Père se redressa. Il fixa l’enfant d’un regard froid, silencieux. Son visage inexpressif exprimait le quart de la haine de l’homme, ce qui était déjà bien suffisant.

« Tu sais très bien toi aussi ce qu’a dit le docteur. Tu l’as entendu, je le sais. Alors ne fais pas l’ignorant. »

Il ferma les yeux un instant. Tousser ainsi l’avait fatigué. Il était de plus en plus fatigué en ce moment. Il allait mourir, il le savait, mais ne voulait pas se l’avouer. Et pourtant…

« Ce n’est pas elle, non. Mais tu sais bien ce que c’est toi, n’est-ce pas ? Tu l’as entendu… l’aurais-tu vu aussi ? Tu sais exactement combien de temps il me reste à vivre. Avoues que tu attends ce jour avec impatience. Le jour où tu pourras enfin partir d’ici… »

Un petit sourire moqueur apparut sur les lèvres du Père.

« Mais où iras-tu, dis-moi ? Ici, je suis ton seul soutien. Les Tueurs te méprisent car tu n’es pas des leurs, et que tu n'es pas vraiment un homme non plus. Moi mort, ils ne voudront plus de toi. Bon nombre d’entre eux considèrent comme une folie le fait que je te garde près de moi. Je ne sais pas ce qu’ils feront de toi. Et à vrai dire, je m’en fiche un peu. »

Il rouvrit les yeux. C’était la première fois qu’il parlait de cette maladie avec Ivan. Il attendait la réplique, le coup imparable qui allait l’achever. Après, il devinait ce qu’il ferait. Ce n’était pas beau, non ; mais c’était le seul moyen qu’il possédait pour montrer à l’enfant tout l’amour et la haine qu’il avait pour lui.

Ivan ne donnerait jamais sa docilité. Ou en tout cas, jamais à lui. Jamais. Enfin, c'était ce qu'il se disait. C'était une façon de se motiver. Une façon de se forcer à le blesser comme lui le faisait. Voulait-il vraiment être aussi cruel ? Voulait-il faire souffrir comme on le faisait souffrir ? Hum pas vraiment. Après tout, il était vrai que l'homme était son seul vrai soutien. La seule personne qui l'avait réellement recueilli, et pour cela, parfois, il se retenait répondre. Ce ne fut pas le cas cette fois-là.

"Vous savez, ma mémoire est aussi défaillante que la votre. Vous saviez aussi très bien ce qu'il m'avait dit."répondit-il d'une voix neutre.

Ivan avait de nouveau les yeux sur les lignes de ce livre. Il ne lisait plus. Il se contentait de regarder un mot qui le rassurait de tout : "ange déchu", ces mots étaient synonyme d'Eric, Eric était synonyme de douceur et de tendresse pour lui. Le simple fait d'avoir une image à mettre devant ses yeux rendait le Tueur moins impressionnant, surtout quand l'image était si belle à ses yeux.

"Pourquoi en saurai-je plus que vous… Vous savez très bien que même si j'vais vu votre mort, elle ne m'aurait pas permis de savoir dans combien de temps elle se produira. Il me faudrait voir votre tombe pour cela. Or peut-être que vos très chers chasseurs, une fois mort ne vous idolâtreront plus… Car je n'ai encore pas vu votre tombe. Ce serait tout de même dommage qu'un être aussi miséricordieux pourrisse dans la fosse du peuple. "

Pour ce qui était de la suite… Partir… Oui, il était certain qu'il le voulait. Où il irait… Oh… Il le savait.

"Quand vous mourrez, j'irai trouver celui qui est plus généreux que vous et qui m'offrira l'éternité pour pleurer votre mort. Il ne me demandera que mon sang. Et les tueurs se diront qu'ils avaient raison de me considérer comme une folie de votre part. Même si je suis la moins folle de vos folie."

Ou alors il irait voler à nouveau… Il aurait quelqu'un pour l'aimer, il ne serait plus seul, il ne serait plus prisonnier, il ne serait plus frappé, il ne serait plus Sali, il ne serait plus qu'un humain aimé par… par un ange. Sa main alla effleurer le mot ange sur le livre. Oui, il avait un ange, c'était dieu qui l'avait fait tomber sur terre pour lui. L'équilibre était parfait entre l'ange qu'on lui avait envoyé et le démon qui avait précédé et qui demeurerait encore quelques temps avant sa mort.

"Mais vous savez, je vous survivrai, vous ne me tuerez pas."murmura-t-il d'une voix convaincue et fière.

Les paroles d’Ivan ne blessèrent pas le Tueur. Elles ne lui firent pour ainsi dire pas beaucoup d’effet. Elles permirent juste à l’homme de retrouver son masque d’impassibilité, de froideur qu’il conservait habituellement. Il se calma, aussi vite qu’il s’était énervé. Ses yeux débarrassés de toute lueur colérique se posèrent sur l’enfant et le scrutèrent avec intensité. Il était plutôt calme à présent et Nicholas avait beau chercher, il ne comprenait pas. Il sentait simplement qu’il se passait quelque chose dans son dos, et qu’il n’en avait aucune idée. Il nageait pour le moment dans le brouillard, mais il saurait bientôt ce qui se passait. Et quoique ce soit, il se doutait que ça le mettrait dans une colère terrible.

Il écouta l’enfant parler. Il le fixa et l’observa intensément. Il détailla chacun de ses mouvements, chacun de ses regards. Tous ses sens étaient en alerte, et il n’avait plus aucune envie de dormir. Se pourrait-il que l’enfant soit en train de s’éloigner de lui ? Qu’il ait dérogé à l’interdiction qui lui était donnée, de sortir du manoir ? Il n’avait aucune preuve de ce qu’il avançait. Pourtant, il le sentait. Il y avait quelque chose…
Il écouta l’enfant sans rien dire. Que pouvait-il répliquer à cela ? Il avait raison. Et le Père ne parlait que rarement pour ne rien dire. Il se tut donc, se concentrant sur les gestes de l’enfant plus que sur ses paroles. Il se tut jusqu’au bout. Il se retint à nouveau, ses yeux ne se lassant de détailler les gestes du garçon, pour trouver celui qui le trahirait. Il attendit, il attendit. Et il fut récompensé.
La main d’Ivan effleura le mot « ange » sur le livre. Les yeux du dirigeant suivirent comme un éclair le mouvement du bras de l’enfant, avant de remonter sur son visage, et de se poser, toujours aussi neutres. Ses derniers mots n’eurent aucun effet sur le dirigeant : à présent, il se foutait bien de ce que pouvait lui dire le gamin, il avait trouvé une autre faiblesse à exploiter.

Il resta silencieux pendant un bon moment, se contentant de fixer le gamin. Il ne cherchait pas ses mots, il attendait seulement que le silence pesant qui s’installait fasse son effet. Puis au bout d’un moment finalement, il se décida à reprendre la parole.

« Dis-moi… comment s’appelle cet « ange » qui te fait pousser des ailes, au point d’en devenir carrément insupportable ? »

Il se tut à nouveau puis se leva et s’approcha du gamin. Le dominant de toute sa hauteur, il l’attrapa par le col afin de l’obliger à se lever, et l’observa à nouveau, ses yeux froids teintés de mépris.

« Notre petit médium semble amoureux… lui aussi, il a pu toucher ce corps ? »

Tenant Ivan par le col de sa main gauche, la main droite du dirigeant ouvrit à moitié son kimono pour aller caresser son torse décharné, allant jusqu’à voir un peu plus bas.

« Lui aussi, il a pu en profiter ? A-t-il au moins pris son pied ? »

Lâchant l’enfant, il le poussa afin de le faire retomber dans son fauteuil, et écarta le kimono de façon à montrer ses jambes.

« Et ça, il a pu le voir ? T’es-tu donc donné entièrement à lui ? C’est pour cela que tu espères ardemment ma mort, n’est-ce pas ? C’EST POUR LUI ? »

Il s’était emporté. Il avait hurlé. Cela lui retomba dessus, car il fut pris d’une quinte de toux qui le fit se rasseoir. Une fois ce moment passé, il se tut un instant. Sa main retomba sur le bras du fauteuil et son visage maladif sembla fatigué. Avec une grande lassitude, il demanda :

« Comment s’appelle-t-il ? »

Ivan ne quittait pourtant pas le livre des yeux, mais il sentit. Il sentit que l'homme s'était calmé aussi soudainement qu'il s'était énervé. Il pensa que c'était un bon signe, après tout, il se calmait rarement si vite. Peut-être que l'idée de mourir le rendait moins fou… Mais pourtant, il sentait le regard sur lui. Après tout, qu'importait, que pouvait-il faire avec un regard ? Il ne pouvait pas lire en son âme. Il ne pouvait pas voir l'image qui se profilait devant ses yeux. Mais pourquoi le regardait-il si fixement… Sa main commit l'erreur de surligner plusieurs fois ses pensées, il n'avait pas vu le premier, il en vit un autre, un autre effleurement sur ce papier.

Face à un silence si lourd, le petit releva la tête. Il y avait quelque chose de bizarre. Il sentait que ce calme était le calme avant la tempête. Il frémit. Qu'allait-il faire ? Allait-il le frapper ? Allait-il le souiller une nouvelle fois pour se venger ? Allait-il juste hurler ? L'attente de la sentence était peut-être pire que la sentence elle-même. Ses doigts appuyèrent un peu plus sur le papier. Il croisa le regard du Père, son ventre se noua. Il savait qu'il faisait exactement ce qu'il voulait, il avait peur, et l'autre ne désirait que cela.

Aux paroles de l'homme, il paniqua. Ses yeux s'agrandirent. Comment savait-il ? Il regarda sa main. Il comprit. Il ferma brusquement la livre. Il s'était trahi sans le savoir. Il fit tomber le livre dans la précipitation. Ivan ne dit rien, il avait promis de ne jamais rien dire ! Il se tut, tremblant de peur face à la fureur qui allait s'abattre sur lui. Un petit cri passa ses lèvres quand l'homme le fit se relever. Il savait pourtant que ce genre de position lui était insupportable, il ne pouvait pas tenir debout sans autre appui. Il avait mal. Mais il ne montrerait pas ça. Il se mordit les lèvres.

Ce qui lui fit monter les larmes aux yeux, ce fut les paroles. Les paroles et cette main qui torturait son âme par le simple toucher de son corps. Non, non, il ne l'avait pas touché ainsi ! Non ! Les larmes coulèrent sur ses joues. Comment pouvait-il dire des choses aussi horrible ? Eric n'aurait jamais osé le toucher ainsi ! Il n'y avait qu'un être aussi infecte que lui pour le faire ! Il retomba violement dans la chaise. Ses larmes doublèrent quand il découvrit ses jambes… Non… Il ne voulait pas… Il n'avait pas… Ses sanglots faisait sursauté ses maigres épaules. Oui, c'était pour lui qu'il voulait que tout ça cesse, pour lui qu'il voulait la mort de l'ignoble homme qui le souillait. Ivan se recroquevilla, cachant son visage dans ses mains. Il fut même pas heureux de voir l'homme tousser.

Il ouvrit les yeux, à travers ses doigts écartés, il vit le livre par terre… Il se laissa tomber par terre. Ses jambes émirent alors un craquement immonde. Il n'y fit pas attention. Il tendit juste la main pour attraper le livre. Il le saisit et le ramena contre son torse. Il était lamentable, là allongé sur le sol, incapable de se relever. Il caressa les lettres d'or. Ange… Déchu.

"Vous… vous… jamais son nom… "murmura-t-il entre deux sanglot.

Il savait que s'il trouvait Eric, Eric ne serait alors plus. Et ça, c'était hors de question. Il préférait mourir plutôt que cela.

Nicholas croisa les jambes. Le menton appuyé sur son poing, il contempla le misérable ver de terre qui se traînait à ses pieds. Lorsque l’ignoble craquement s’était fait entendre, il avait eu envie de le gifler. De le violenter afin de lui faire comprendre qu’il ne voulait plus jamais entendre ce genre de choses. Les larmes coulaient sur les joues de l’enfant, mais il en fallait plus pour émouvoir le Père. Cela avait plus tendance à l’irriter d’ailleurs. Il prenait vraiment sur lui pour le coup. Il se retenait vraiment pour ne pas gifler ce gamin insupportable qui lui tenait tête. Et qui refusait une fois de plus de lui dire le nom de cet inconnu.

« Je t’ai demandé son nom. »

La voix était glaciale, autoritaire. S’il y avait des Chasseurs dans la bibliothèque, nul doute qu’ils avaient déserté les lieux. Le dirigeant détestait qu’on lui résiste. Surtout lorsqu’il s’agissait de défendre quelqu’un. Il fixa le gamin, et soupira.

« Tu veux qu’on joue aux devinettes, c’est cela ? Mais si je gagne, ton amant est foutu. Vu le livre que tu as emprunté, je peux en déduire que ton ami est un ange. Et vu qu’il est rare de voir des anges dans le coin, je peux supposer que… il est tombé du ciel. »

Le dirigeant se leva et s’agenouilla devant Ivan. Délicatement, il releva le menton du jeune homme et le regarda droit dans les yeux. Avec sa manche droite il essuya les quelques larmes qui s’écoulaient des yeux du gamin, et l’aida à se relever, avant de l’asseoir dans son fauteuil. Puis, avec un petit sourire froid, il le gifla. Une fois, deux fois. Puis retourna s’asseoir dans son fauteuil. Il croisa à nouveau les jambes, et reprit :

« Tu as enfreint mon interdiction. Tu es sorti du manoir, et tu as rencontré des gens. Je ne sais pas ce que tu leur as dit, je m’en fous. Tout ce que je sais, c’est que tu es tombé amoureux. De là, plusieurs solutions s’offrent à moi. Je pourrais aisément te faire cracher le nom de ton amant, et le faire tuer. Je sais que tu résisteras. La torture ne te fait pas peur, n’est-ce pas ? mais tu m’es trop précieux pour que je t’abîme ainsi. »

Le dirigeant regardait l’enfant avec un mélange de dégoût et de mépris. L’estime qu’il avait pu avoir pour lui s’était évanouie lorsqu’il avait appris ses sentiments. Il n’avait plus envie de lui, plus envie de le casser. Son seul désir était de jeter ce jouet inutile qui pensait trop. Mais il ne le ferait pas, il en avait besoin. Allant contre sa répulsion, il se leva à nouveau et, s’approchant de l’enfant, lui caressa à nouveau la joue, avec la tendresse d’un père. Sentant le livre entre lui et l'enfant, il lui prit des mains et le posa à terre. Sachez qu’il fallut beaucoup de maîtrise au Père pour ne pas s’emporter. Mais il se contenta de fixer l’enfant avec un petit sourire méprisant, avant de reprendre d’une voix doucereuse :

« Tu te demandes ce que je vais faire, n’est-ce pas ? Comment vais-je te punir… mais mon garçon, je ne le ferais pas. J’attendrais que tu le fasses tout seul, comme un grand… »

A ces derniers mots, il desserra un peu la ceinture du kimono, ses mains allant caresser le corps malingre de l’enfant, son torse, ses bras. Aucun sentiment de dégoût là-dedans. Il voulait simplement montrer à l’enfant que son corps lui appartenait. Si son esprit ailleurs, son corps, lui, était bien là.

« Tu n’aimes pas ça, n’est-ce pas ? En plus, dans une bibliothèque… »

Il eut un petit rire mauvais, puis retira ses mains du kimono de l’enfant, et retourna s’asseoir dans son fauteuil. Il reprit son livre, ne semblant plus porter d’intérêt à Ivan, avec la ferme attention de dormir lorsque ce dernier serait parti.

Finalement, Ivan regretta de ne pas avoir fait attention à ses jambes. Après le lugubre bruit qu'elles avaient laissées entendre, il sentit une douleur fulgurante les parcourir. Mais il avait le livre dans les mains, le reste, ce n'était pas bien grave. Une lancinante douleur, sourde, et puissante à la faut. Elle parcourait à présent son corps, comme si elle voulait que l'enfant l'entende. Pourtant, il ne semblait pas vouloir répondre à son appel et demander de l'aide. Et puis, il n'avait personne à qui demander de l'aide en ce lieu. Demander de l'aide au maître des tueurs ? Quand bien même il en demanderait, il était certain qu'il ne l'aiderait en rien. Il ne tourna même pas la tête en entendant l'ordre. Il n'aurait pas son nom. Jamais ! JAMAIS !

Non, il ne voulait pas jouer aux devinettes. Il ne voulait que voir Eric. Il voulait qu'il le prenne doucement dans ses bras. Ses pleurs redoublèrent presque en entendant la suite. Non… Non. Il ne voulait pas sa mort. Il… Il serra le livre contre lui. Le tueur en savait déjà presque autant que lui sur l'homme qu'il aimait. Ivan se sentait si faible. Il avait perdu ? Non ? Il avait perdu.

Quand la main releva son visage, ce fut dans un regard vide que se plantèrent les yeux de son tortionnaire. Il sentit à peine qu'on essuyait ses larmes, tant elles coulaient en abondance. A peine la manche fut-elle passée que la zone était déjà mouillée à torrent par l'eau salée. Puis, il le releva. Ou plutôt, il le porta, car Ivan était telle une masse morte. Une fois posé sur la chaise, il releva à peine la tête. Il vit la main le gifler. Une fois. Deux fois. Il ne dit rien, ne réagit même pas, laissant sa tête suivre le mouvement du coup. Il écouta les paroles de l'homme.

Oui, il avait désobéi. Plusieurs fois d'ailleurs. Au moins deux. Il avait d'ailleurs suffit d'une fois pour qu'il trouve l'amour. Mais n'était-ce pas normal ? N'avait-il pas le droit de connaître ce sentiment qu'on lu avait interdit jusque là ? Sa tête se rabaissa, ses yeux se rivant sur son livre. Il n'aimait pas quand l'homme disait qu'il était précieux. Il n'était en rien précieux. Ses larmes s'étaient asséchées. A croire qu'il avait épuisé ses réserves, car sa peine était toujours aussi grande. A la caresse sur sa joue, Ivan releva des yeux haineux. Certes la haine n'était pas le sentiment dominant dans ses yeux, mais une lueur y brillait. Il haïssait celui qui voulait tuer celui qu'il aimait. Cette lueur brilla d'un feu plus puissant quand on lui retira le livre.

"… Allez au diable. "murmura-t-il tout simplement.

Il ne se punirait pas, il ne le vendrait pas. Il saurait Eric en vie, c'était tout. Il n'avait plus besoin de recevoir, c'était à lui de donner tout son amour. En l'occurrence, il le canaliserait pour créer une muraille face à ce redoutable ennemi. Il frémit en sentant les doigts sur son corps. C'était répugnant. Bien sur qu'il détestait ça. Il ne répondit rien, laissant son corps à cet homme. Si cela permettait à ce tyran d'oublier le sujet qui concernait Eric. Apparemment, ce fut le cas. L'homme se replongea dans sa lecture, abandonnant le petit.

Ivan observait silencieusement l'homme. L'infirme regarda ensuite la fenêtre. Il pleuvait toujours, il pleuvait sur son cœur aussi. Un torrent froid, glacé. Ses yeux sombres tombèrent sur le livre à quelques mettre de son fauteuil, c'était déjà trop loin pour lui. Il ne pouvait bouger, ses jambes le lui interdisaient douloureusement. Il reporta alors ses yeux sur l'extérieur. On lui offrait une cage sordide. Il entreprit de remettre correctement son kimono, cherchant à s'occuper plus qu'autre chose. Il ne voulait pas sombrer dans la tristesse maintenant. Il devait lutter plus que jamais.

Nicholas tressaillit, et posa un regard glacial sur le gamin qui avait osé lui donner un ordre.

« Je n’ai pas besoin de toi pour me dire ce que j’ai à faire. De plus… »

Un petit sourire satisfait apparut sur ses lèvres tandis qu’il se rasseyait.

« De plus, le diable ne voudra certainement pas de moi. Je suis celui qui chasse le mal du pays ; je devrais aller au paradis, pas en enfer ! Dans quelques décennies, on me remerciera pour ce que j’ai fait, pour avoir éviter que le fléau ne se répande, et que le monde vive sous le règne des maîtres de l’ombre. »

Il eut un petit rire mauvais. Non, ce fou ne se rendait pas compte qu’à côté de la « bonne cause » pour laquelle il oeuvrait, ses actes étaient tout simplement ignobles. Cela ne pouvait lui venir à l’esprit, car il était PARFAIT. Mais si le gamin pensait que, en se laissant faire, il permettrait au Chasseur d’oublier Eric, il se trompait. Car maintenant, tout son esprit était attelé à cette tâche, qui était de découvrir l’identité de cette saloperie d’ange déchu.

Déjà, il faut bien savoir que, si le Chasseur faisait tout pour éradiquer les vampires et les lycans de ce pays, il n’avait pour le moment que faire des anges déchus. Ceux-ci ne semaient pas encore trop le chaos, et restaient relativement tranquilles. Et, si le dirigeant les faisait surveiller pour plus de sûreté, il n’avait aucun intérêt à s’en prendre à eux, et ne désirait pas déclencher les hostilités avec une autre race.

Mais tout cela, Ivan ne le savait pas et d’ailleurs, ne devait pas le savoir. Cette peur qu’il avait de voir l’être qu’il aimait se faire tuer, serait une autre façon de le contrôler. Le Chasseur ne tirerait aucun avantage en apprenant à Ivan ses projets – à part peut-être un semblant de reconnaissance de la part de l’enfant mais ça, avouons-le, il s’en foutait carrément – tandis que le lui cacher pourrait être un atout, car il aurait une carte à jouer en dernier recours, si la situation l’exigeait. Et tandis que le médium pleurnichait devant lui, dardant des regards haineux sur le Chasseur qui continuait à faire semblant de lire, il réfléchissait à tout cela, et à la manière de trouver cet ange et de le faire surveiller. Il ne se serait probablement jamais intéressé à lui si Ivan ne lui avait pas trouvé quelque intérêt. Il faudrait qu’il en parle à la prochaine réunion. Il n’avait pour le moment pas envie de torturer ce ver de terre en face de lui pour lui tirer les vers du nez ( ouaaah, quel jeu de mots POURRI… ), et se débrouillerait autrement. Seulement, il est vrai qu’il n’avait que très peu d’indices. Alors comment…

« Qu’a fait cet ange, pour ravir ton cœur ? Je ne pensais pas que tu pourrais un jour aimer une de ces créatures reniées par Dieu, alors que déjà tu hais celles qui oeuvrent pour lui… »

Il aurait voulu que le gamin dégage de là, pour qu’il puisse dormir un peu. Mais, lorsque son regard froid se posa sur les jambes d’Ivan, le Père comprit.

« J’ai bien peur que tu ne sois bloqué ici pour un petit moment… tu as trop sollicité tes jambes, n’est-ce pas ? »

Il eut un petit rire moqueur puis, prit d’un élan de générosité excessif, lui demanda ironiquement :

« Tu veux que je t’amène quelque part ? »

Ivan savait bien que l'homme n'avait guère besoin de ses conseils, encore moins de ses ordres. Mais que voulez-vous, l'humain est ainsi fait, passez un certain seuil de colère, il ne sait plus vraiment contrôler ses mots et dit clairement ce qu'il pense. L'handicapé n'en était pas encore à ce point, autrement, cet homme aurait eu droit à des insultes diverses et variées. Mais il n'eut que ce minuscule petit ordre. Il irait au Diable. Il brûlerait tôt ou tard pour le repentir de ses méfaits.

L'enfant le fixait avec un air offusqué, voire répugné. Il disait chasser le mal du pays ? Très bien. Chassait-il la faim ? Non. Chassait-il la misère ? Non. Chassait-il la maladie ? Non. Chassait-il le froid ? Non. Que chassait-il de mauvais alors ? Ah oui, les vampires. La seule qu'il avait rencontrée alors était loin d'être quelqu'un de sanguinaire qu'il faille tuer. Les anges ? Oui, il voulait tuer son ange ! Alors qu'il ne dise pas qu'il ne dise pas qu'il chassait le mal ! Le (mâle) Mal, c'était lui ! Mais l'enfant ne dit rien, se contentant de détourner la tête à l'entente de ces mots. Un frisson parcourut son échine quand il entendit le rire de l'homme. Il était réellement fou. Fou, juste fou à lier.

L'adolescent regardait par la fenêtre quand l'homme lui demanda ce qu'Eric avait fait. Il darda l'homme d'un regard moqueur. Il ne savait pas ce qu'il fallait faire pour être aimé de quelqu'un ? Et puis, il se trompait. La créature reniée de dieu, c'était lui, pas Eric. Il eut une moue presque arrogante en l'entendant. Comment pouvait-on se tromper à ce point ? Se croire juste en étant tyran ? C'était le problème de tous les mégalomanes, mais bon.

"Il a fait ce que vous ne faites pas. Ce n'est pas bien compliqué. Et puis, vous devriez vous regardez dans un miroir avant de traiter de renié de Dieu quelqu'un." Lâcha-t-il en regagnant sa fougue et sa répartie légendaire.

Ivan avait beau être plus jeune, plus petit, plus chétif, plus faible, il était bien plus grand que cet homme. Et il commençait à le comprendre. Il savait aimer, pas l'homme. Il savait écouter quelqu'un, pas l'homme. Il pouvait ne pas blesser, pas l'homme. Il pouvait rêver, pas cet homme. Il était donc bien plus fort que cet homme, contrairement aux apparences.

Il regarda ses jambes à la question du Tueur. A vrai dire, il ne les sentait plus du tout. Elles étaient mortes. Mais pas parce qu'il les avait trop sollicité, juste à cause de l'ignoble craquement qu'elles avaient émises pour qu'il puisse reprendre son livre. En somme c'était de sa propre faute si le chef de tueurs devait supporter cette "larve" qu'était Ivan.

"Oui. J'aurai du vous écouter et rester sagement dans mon fauteuil… Cela m'aurait évité de me faire mal par votre faute." Répondit-il avec nonchalance.

Oui, c'était de l'insolence pure et dure, et alors ? AU point où il en était, il pouvait bien se le permettre. Que risquait-il ? Deux, trois gifles de plus ? Un viol à ajouter aux précédents ? Franchement, il n'état plus à ça près.

"Non. J'étais très bien ici. Et si ma présence vous importune, je serais encore plus heureux de rester."déclara-t-il froidement. "Par contre, pourriez vous avoir l'obligeance de me rendre le livre que vous avez jeté par terre ? J'aimerai continuer ma lecture."